Ethique en entreprise: et si c’était un moteur d’innovation?
En entreprise, l’éthique recouvre plusieurs sujets convergents intimement liés à la responsabilité civile, à la responsabilité sociétale, et plus globalement la gouvernance des entreprises. Un premier groupe touche au respect des normes, règles et valeurs morales. Un second groupe concerne plutôt la justice sociale, l’impact sociétal ou environnemental et le développement durable. Dans les deux cas, l’entreprise vise sa notoriété, la sécurité de son développement, mais aussi sa performance intrinsèque. Les temps ont changé et l’innovation éthique devient aussi un moteur de croissance.
L’éthique étriquée du vieux monde
Ces attentes de l’éthique restent encore bien contre-intuitives, tant nous sommes marqués par l’histoire. Il fut des temps immémoriaux où l’esclavage était une source prépondérante de richesse. Les esclaves étaient une force motrice et la force armée justifiait moralement l’exploitation des vaincus. Les machines sont arrivées, qui ont remplacé heureusement serfs et esclaves. Le paternalisme était l’éthique de la révolution industrielle, un progrès enfermé dans le taylorisme. Il y avait place pour un progrès technique galopant, mais peu pour le progrès managérial. Pour quoi faire? Les postes de travail étaient figés, les cadences imposaient les horaires, les ouvriers étaient peu éduqués. Les avancées managériales ont ensuite suivi l’évolution des rapports de forces entre patronats et syndicats dans un climat de croissance ininterrompue. C’était presque simple, parfois rude mais confortable d’une certaine manière. Mais voilà qu’arrivent la libéralisation des mœurs, l’informatique avec ses industries de services, la mondialisation et la dégradation de l’environnement. La société de consommation interplanétaire, totalement interconnectée, oblige les acteurs économiques à une adaptation radicale. Gare à l’embrasement négatif sur les réseaux sociaux.
Les dangers actuels du non-éthique
Il faut citer en premier le risque juridique, donc les procès et pénalisations financières pour non-respect de normes ayant eu des incidences sur des clients consommateurs, des salariés ou des partenaires. Ces incidents avaient une diffusion assez confidentielle, sauf lorsque la presse pouvait s’en emparer, mais aujourd’hui un simple message depuis un smartphone peut devenir viral. Arrive le risque de scandale, souvent le prolongement moral du premier mais parfois aussi affairiste, lorsqu’il y a dissimulation de faits graves, de pratiques illicites généralisées tolérées, masquées ou favorisées. D’accidentel, involontaire, de cas d’espèce, l’incident devient systémique et met l’organisation profondément en cause. La confiance en l’entreprise est alors durablement écornée.
D’autant que le risque s’étend maintenant à l’environnement et à la société elle-même. Le législateur s’est emparé du problème pour créer la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Cela reste une démarche volontaire et volontariste, à obligation peu contraignante, qui commence à générer notations et classements. Bientôt ce sera la course pour être le plus vertueux. Les assurances en tiendront certainement compte. Toujours est-il qu’une entreprise peut aujourd’hui être poursuivie pour des dommages très indirects, pour manque d’efforts ou de compensations. De plus en plus le développement doit donc être durable.
Deux autres risques montent en puissance, l’instabilité sociale interne qui va plomber les comptes par un turnover excessif, des arrêts maladie surnuméraires, des grèves du zèle plus ou moins larvées, et la fossilisation. L’immobilité des comportements individuels ou collectifs ne convient pas à de nombreux segments économiques devenus extrêmement mouvants. Les technologies bougent vite, comme les attentes et réactions des clients. L’adaptabilité est une nécessité.
Comment traiter ces risques ?
Un des premiers outils historiquement mis en œuvre est la charte éthique. Si beaucoup se limitent à de la communication, ces chartes sont toujours utiles. C’est au management de les rendre effectives. Collection organisée de bonnes pratiques comportementales, la charte éthique est un guide pour les collaborateurs. Si elle fait normalement transpirer les valeurs de l’entreprise, elle peut aussi aider à les façonner. Dans les faits, on distinguera la charte qui s’attachera aux valeurs, du code de conduite qui mettra l’accent sur les comportements appropriés. Un code de bonnes pratiques pourra compléter l’ensemble avec des exemples très concrets et applicables dans le quotidien. La charte ne fait pas tout mais s‘avère un support quasi-indispensable.
Le comité éthique devient aussi incontournable, car l’environnement change à l’extérieur comme à l’intérieur de l’entreprise. Il faut faire évoluer les documents de référence, juger des cas exceptionnels, et instruire les situations nouvelles qui tendent à devenir la norme. C’est un moyen d’impliquer plus régulièrement les directions et de diffuser dans le management.
Une évaluation doit permettre de hiérarchiser les vrais risques de l’entreprise. Si l’éthique débute généralement par des poncifs communs, qui pourrait faire croire que toutes les chartes se ressemblent. Chaque entreprise est différente. Cette hiérarchie des risques dépend de l’activité, mais aussi du type d’organisation et de son incarnation, et de conditions d’exploitation spécifiques.
Une réelle introspection permettra d’y voir clair, de dégager les vraies valeurs, d’isoler les cas de conflits récurrents, et de ne pas oublier les risques RH de plus en plus forts : poursuites pour harcèlement, discriminations, non-respect de la vie privée. Les check-lists ont leur vertu: l’exhaustivité chasse l’implicite, l’omission tacite et le tabou. Des prises de conscience sont nécessaires. L’éthique doit être partagée.
Une stratégie éthique améliore la stabilité sociale
Ce sont malheureusement les réalités humaines qui génèrent généralement les conflits. L’éthique est indissociable de l’équité. Le flou déstabilise. Les traitements perçus comme injustes génèrent du ressentiment, parfois de la fronde, souvent un stress négatif et de la démotivation. La « mauvaise » boîte fera fuir ses éléments positifs, et, vite cataloguée, n’attirera que des profils désabusés ou contraints par les circonstances. Attention à la cohérence éthique. Si une charte demande, c’est bien normal, de remonter certains faits, il faut que ces révélations soient reçues sans risque pour le lanceur d’alerte. On touche ici tous les rouages hiérarchiques, qui ont tendance à écraser et bâillonner par toutes formes de coercition. Un management éthique doit savoir faire la part des choses et instruire équitablement tous les problèmes.
Lutter contre la fossilisation par un management éthique
L’éthique se révèle donc un moyen économique de prévention des risques et d’organisation de défense. Elle montre aussi les vertus proactives d’un bon développement durable, favorable à une profitabilité respectable. Un accompagnement bienveillant du management favorise de plus l’innovation et l’agilité. Le climat de confiance et d’équité, l’appropriation de valeurs communes positives et moralement confortables, entraînent la motivation personnelle et collective, donc de la productivité. L’entreprise se met à bouger harmonieusement si l’éthique ajoute à la morale du sens à ses actions. Il est toujours plus efficace d’atteindre des objectifs dont on comprend et partage le sens. Le management doit communiquer du sens qui apporte la dynamique aux valeurs.